La Chine des Tang, une dynastie cosmopolite
Visite-conférence par Sylvie Ahmadian, conférencière au MNAA-GUIMET.
Consacrée à la dynastie des Tang (618-907), cette exposition a été rendue possible grâce à la contribution de nombreux musées chinois (32) et présente beaucoup d’objets issus de fouilles des dernières décennies. Il s’agit d’une des époques les plus brillantes de l’histoire de la Chine. Cette période voit une extension remarquable du territoire chinois vers le nord-ouest couvrant pratiquement toute la route de la soie en Eurasie jusqu’à l’Iran. Grâce aux échanges commerciaux et culturels, l’empire connaît une ouverture sans précédent avec un brassage de population qui va enrichir la civilisation chinoise. La capitale est installée à Chang’an (actuelle Xian) qui était déjà celle de la dynastie précédente, les Suei (581-618). Il s’agit d’une très grande ville cosmopolite, un véritable carrefour commercial. Elle est, en fait, la ville la plus grande au monde, au 8ème s., devant Bagdad et Byzance. Son implantation obéissant à un plan hippodamien avec les quartiers palatiaux, les quartiers commerciaux et des monuments religieux, va influencer l’aménagement d’autres capitales, en particulier au Japon et en Corée.
On parle souvent de l’âge d’or de la dynastie des Tang, mais cela ne peut s’appliquer réellement qu’à la première période (618-765) avant la rébellion d’An Lushan (703-757) qui va créer une rupture. Cependant l’ensemble de la période des Tang reste un moment unique de réceptivité et d’adaptabilité aux influences étrangères.
La dynastie va connaître 21 empereurs depuis le fondateur Gaozu (618-626), mais c’est son fils, Taizong (626-649), qui va stabiliser le régime et poursuivre l’annexion de territoires aussi bien en Asie orientale que dans les steppes d’Eurasie. Ces conquêtes ont été rendues possibles grâce à l’appui d’une remarquable cavalerie. D’où l’importance de ces chevaux, dits «chevaux célestes», très robustes, ils étaient importés d’Asie Centrale, en particulier du Ferghana. Taizong a fait sculpter, dans la pierre, les portraits de ses chevaux favoris en bas-reliefs à l’entrée de sa sépulture. On les retrouve sous forme de mingqi (statuettes funéraires) et ils font partie de l’ensemble qui accompagne le défunt dans sa tombe. En terre cuite naturelle, peinte ou vernissée de trois couleurs (sancai), obtenues avec la projection d’oxydes métalliques (de fer pour le jaune, de cuivre pour le vert, de manganèse pour le violet et parfois de cobalt pour le bleu), ces «chevaux célestes» sont représentés dans différentes postures, à l’arrêt, en marche, hennissant, souvent harnachés et quelques fois accompagnés de palefreniers qui peuvent être chinois ou étrangers.
Il faut noter qu’à partir du règne de Taizong, des chefs étrangers apparaissent au côté des dignitaires chinois dans l’ «allée des âmes» ou «voie des esprits» qui mène au mausolée. Une tête fragmentaire, provenant de son mausolée, présente toutes les caractéristiques d’un étranger: cheveux bouclés enserrés dans un bandeau, sourcils épais. Un prince étranger acéphale, plus tardif, est vêtu d’un ample manteau et porte une ceinture ornée de six anneaux à laquelle est suspendu un petit sabre, attaché par trois lanières de cuir. De nombreux étrangers vont intégrer l’armée chinoise et parfois parvenir à des postes élevés.
Deux mingqi de grande taille figurent un haut fonctionnaire civil et un haut fonctionnaire militaire. Le premier arbore une coiffure à barrette (liangguan) alors que le second porte une parure de tête à décor d’oiseau (heguan). Si les vêtements sont décorés de glaçure sancai, les visages sont peints avec une grande finesse. Un personnage, en terre cuite peinte, est figuré en prosternation comme il se doit dans un système régi par le confucianisme où la hiérarchie est omniprésente. Un cavalier en armure est représenté sur un cheval qui porte une cuirasse, ce qui est très rarement représenté dans les peintures ou les sculptures. Parmi les mingqi, on trouve aussi des chameaux accompagnés de palefreniers étrangers, reconnaissables à leur tenue (caftan à large encolure, bottes) et à leur faciès souvent caricatural (grand nez, sourcils épais, moustaches et/ou barbe). Le chameau indispensable pour le commerce caravanier est aussi un symbole de prospérité.
Une nouvelle monnaie en alliage cuivreux va être frappée dès le début de la dynastie, la sapèque Kaiyuan Tongbao (trésor en circulation à l’aube d’une nouvelle ère). Cette monnaie va non seulement circuler dans toute la zone d’influence chinoise mais être copiée par les peuples avoisinant.
La capitale Chang’an, se présente comme un quadrilatère divisé en damier d’environ 77 km carrés avec l’extension, au nord-est du domaine impérial et du palais Daming et celle, au sud-est, du parc Furong. Les quartiers étaient enclos entre de larges rues dont la plus importante, d’une largeur d’environ 150 m, la Grande Rue du Phénix Rouge, reliait la porte Sud à la cité administrative et aux palais. Chaque quartier était entouré d’un mur d’enceinte et accessible par des portes qui étaient fermées le soir pour le couvre-feu. Héritiers de l’implantation des Sui, les Tang ont conservé la division entre la ville, le quartier administratif et le palais impérial. Les quartiers de la ville comprennent aussi bien des habitations , des commerces, des monastères, des pagodes et deux grands marchés, Xishi à l’ouest et Dongshi à l’est. Le marché de l’Ouest était plutôt réservé aux commerçants étrangers d’où la plus forte concentration de population étrangère dans la partie ouest de la ville. Malheureusement, il ne subsiste presque rien de l’époque des Tang, en dehors des petites et grandes pagodes en brique de l’Oie Sauvage. Par contre on a retrouvé des éléments de construction, tels que des briques, des tuiles et des carreaux de dallage. Un heurtoir de porte, en bronze doré et décor de masque animalier, provient d’une des portes du palais Daming.
La dynastie des Tang a aussi introduit une «culture» autour du thé. Celui-ci était déjà connu depuis longtemps mais utilisé plutôt dans un contexte thérapeutique. A l’époque des Tang, les feuilles de thé traitées sont broyées en poudre, puis celle-ci est compressée sous forme de galettes ou de briques. On réduisait un morceau de galette à l’aide d’une meule pour en refaire de la poudre que l’on jetait dans une marmite d’eau bouillante qu’on pouvait saler. Lu Yu (733-804) est l’auteur du Classique du thé (Chá jīng), ouvrage divisé en 10 chapitres qui traitent de l’origine mythologique du thé jusqu’à sa consommation, en passant par les différentes étapes de la production. Un service à thé miniature complet, en céramique, a été retrouvé dans une tombe datée de 832. Déguster le thé était l’occasion pour les aristocrates de se détendre et c’est à cette époque que les prémices de la cérémonie du thé sont apparus et ont été exportés vers le Japon. L’esthétique des objets consacrés au service du thé s’est focalisé sur les verseuses et les bols qui pouvaient être en métal précieux, en grès de Yue ou en grès porcelaineux blanc du Henan ou du Hebei. Une coupe et sa soucoupe en argent provenant de la tombe de la Dame Wu est datée de 824 et témoigne du raffinement des services à thé de l’époque. Un petit bol à thé en grès à couverte céladon des fours de Yue montre que ce type de couverte était déjà connu.
Les Chinois consommaient des litchis, des oranges venant du Sud de l’empire, mais avec le commerce international qui s’était établi, ils ont découvert les dattes, les pêches de Samarcande, les grenades, etc. De même, les épices diverses en provenance d’Eurasie ont permis de relever la cuisine traditionnelle. On consommait aussi de l’alcool, «vin» produit à partir de céréales, vin de raisin et «vin» de riz. Un ensemble de récipients à alcool en verre provient de Chang’an. Jusqu’aux Tang, on importait les objets en verre depuis le Moyen-Orient, ce qui en faisait des objets très précieux. Leur production a commencé sous la dynastie Tang et les verres chinois sont identifiables par leur couleur verte due à composition très chargée en cuivre. Il faut noter que l’utilisation des baguettes remonte à la dynastie des Shang (1600-1100 av. J.C.) mais dans l’exposition on peut voir plusieurs jeux de baguettes en argent. Sous l’influence étrangère des chaises à dossier vont apparaître de même que des tables plus hautes.
La mode vestimentaire est évoquée avec des statuettes en terre cuite naturelle, peinte ou vernissée figurant des dames de la cour. Elles sont représentées de deux façons: minces, élancées, enserrées dans une robe près du corps à manches étroites et portant une longue écharpe ; l’autre type montre des dames plus en chair, portant une robe à larges manches et de forme vague qui leur donne une silhouette ample et majestueuse. Les coiffures sont extrêmement variées (chignons, coques, etc.), il y en aurait eu une centaine répertoriées. Les femmes de l’aristocratie étaient assez libres et pouvaient s’habiller avec un caftan, un pantalon et des bottes. Une statuette représente une cavalière coiffée d’un chapeau avec un voile protégeant les cheveux et vêtue d’un gilet «mi-bras» (banbi) d’origine étrangère par-dessus sa robe. Le maquillage était important à la cour et les visages blancs étaient illuminés par des fards à joues, les lèvres peintes en rouge, les sourcils redessinés en noir et des mouches de formes différentes pouvaient compléter le maquillage. Un peigne en feuille d’or avec un décor ajouré encadrant deux apsaras témoigne de l’habileté des artisans de l’époque de même que des boucles d’oreilles en filigrane d’or orné de perles, de rubis et de perles de verre. La variété des textures et des décors des tissus est presqu’infinie, obéissant aux modes. Les miroirs, éléments indispensables à la toilette, ont traversé toute l’histoire de la Chine. Ils sont généralement en bronze et, sous les Tang, le motif d’ «animaux marins» au milieu de grappes de raisin est très répandu.
La cour et les milieux aristocratiques se distrayaient avec des concerts et des spectacles de danse, d’acrobatie ou de magie. Un petit orchestre féminin assis, présentant divers instruments tels que l’orgue à bouche, le pipa, la flûte et les castagnettes de bambou, entoure une danseuse. Ces divertissements conjuguaient musiques, chants et danses. Il faut noter qu’à l’époque des Tang, il y avait dix troupes de danseurs associées au palais impérial et, parmi les dix, huit étaient d’origine étrangère, ce qui semble corroboré par la présence d’un groupe de musiciens étrangers assis. Un Personnage burlesque au visage grimaçant et au corps contorsionné, en terre cuite peinte, permet d’imaginer des spectacles de pantomimes.
Les religions prédominantes en Chine étaient le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. Si le confucianisme est lié au bon gouvernement, le taoïsme était pratiqué dans les milieux aristocratiques et lettrés et le bouddhisme connut une grande diffusion dans la population. Il y avait cent trente institutions religieuses dans la capitale et la majorité était des temples et des monastères bouddhiques. Une église nestorienne était présente ainsi que quelques temples zoroastriens autour du marché de l’Ouest. Une jarre bouddhique en forme de pagode, en quatre parties, provient de la tombe d’un prince. Ce type d’objet funéraire issu de la transformation du stupa indien en pagode chinoise était destiné à accompagner les défunts. Un bas-relief provenant des grottes de Longmen représente un luohan (disciple du Bouddha) tenant un lotus. Le visage de ce vieux moine pourrait l’identifier à Kashyapa, un des deux disciples favoris du Bouddha. Deux grands rois célestes en armure étaient à la fois gardiens d’une tombe et protecteurs de la Loi. Ils encadrent un génie-gardien de tombe, zhenmushou, monstre à face humaine provenant d’une autre tombe. Les trois pièces sont réalisées en céramique à glaçure sancai.
Un trésor-reliquaire provient de la crypte de la pagode du monastère du Grand Nuage, Dayun. Il se compose d’un sarcophage en marbre gris, portant une longue inscription, qui enfermait un caisson en bronze doré, lui-même enfermant une boîte en forme de cercueil en argent enfermant un reliquaire, lui aussi en forme de cercueil, en or, abritant le flacon à reliques en verre. Lors de la reconstruction du monastère, en 694, l’impératrice Wu Zetian (690-705) ordonna la réalisation de cet ensemble de reliquaires témoignant de la virtuosité des orfèvres de l’époque. C’est la première fois que des reliquaires adoptent la forme de cercueil, ce qui deviendra assez courant par la suite.
Le moulage d’une stèle de Xi’an commémorant la propagation en Chine de la religion nestorienne de l’empire romain (d’orient) a été réalisé par Édouard Chavannes (1865-1918). Datant de 781, elle fut commanditée par un évêque nestorien et relate la diffusion de cette forme de christianisme pendant 150 ans. Dans la partie basse, court une inscription en syriaque. Cette stèle a été enfouie au moment des persécutions religieuses de 845 ordonnées par l’empereur taoïste Wuzong (840-846) et c’est ce qui l’a finalement protégée.
Une grande bannière en toile de chanvre peinte, provenant de Turfan, représente Fuxi et Nūwa, les premiers ancêtres divinisés de l’humanité dans la mythologie chinoise. Fuxi tient l’équerre et sa sœur Nūwa tient le compas. Ils sont surmontés d’un cercle figurant le soleil alors que leurs queues entrelacées enferment un cercle figurant la lune. Ces divinités évoquent le souhait de réincarnation en immortel, notion chère aux taoïstes.
Un ensemble de statuettes funéraires représente les douze animaux du zodiaque, de forme humaine mais avec la tête d’animal. Ces statuettes symbolisent aussi les heures et elles étaient disposées aux quatre angles de la sépulture pour protéger le défunt tout au long du jour et de la nuit.
Une transcription des Entretiens de Confucius annotés par Zheng Xuan (127-200) provient d’une tombe de Turfan. Cette copie d’un extrait perdu a été réalisée par Bu Tianshu, un enfant de 12 ans qui vivait dans le Xinjiang, en 710. Document d’une grande valeur, il comporte cependant deux quatrains malicieux ajoutés par l’élève. Ce manuscrit témoigne d’une éducation identique dans toutes les parties de l’empire. Une copie d’une calligraphie de Wang Xizhi (303-361), éminent calligraphe de la dynastie des Jin orientaux (317-420), est particulièrement précieuse car obtenue par calque ce qui la rend totalement fidèle à l’original. Les reproductions réalisées sous les Tang sont tenues comme étant identiques aux originaux. Wang Xizhi fut tenu en estime par toutes les générations suivantes et deux colophons complètent le rouleau, ceux de Dong Qichang (1555-1636) et Lou jian (1567-1631), peintres et calligraphes célèbres de la dynastie des Ming.
Le trésor de Hejia, découvert en 1970, recèle de nombreuses pièces d’orfèvrerie et des ceintures en jade dont une, en jade blanc, est exposée. Sous les Tang, seuls les fonctionnaires des trois rangs supérieurs avaient le droit de porter une ceinture en jade. Une coupe en argent avec un décor floral doré, provenant de Hejia, pourrait être un présent offert à la cour par un fonctionnaire territorial. Un autre grand trésor est celui qui a été découvert dans le palais souterrain du monastère Famen, en 1987. La plupart des objets précieux ont été offerts par des empereurs de la dynastie des Tang. Coupelles, aspersoir, porte-encens en argent à décor gravé et doré proviennent des ateliers impériaux et témoignent, encore une fois, de la maîtrise des artisans de l’époque. Une ceinture (diexie) de jade provenant de la tombe de Dou Jiao (597-627) est un objet d’un raffinement extrême. Les éléments en jade blanc ont été creusés pour enchâsser des plaquettes d’or sur lesquelles sont incrustées des perles et des imitations de pierres précieuses en verre coloré. Ce type de ceinture fut emprunté aux peuples, vivant à l’ouest et au nord-ouest de la Chine, qui y suspendaient divers objets se balançant au rythme des pas dans un mouvement de va-et-vient (diexie).
Des joueuses de polo en céramique sancai figurent des dames à califourchon sur la selle et portant un genre de caftan, pantalon et bottes. Bien que souvent représenté joué par des femmes, le polo était aussi un sport masculin. Une copie d’époque Ming (1368-1644) d’une peinture de Zhou Fang (730-810) montre «Dame Zhen (Yang Guifei) montant à cheval». Yang Guifei (719-756), favorite de l’empereur Xuanzong (712-756) est considérée comme étant à l’origine de la révolte d’An Lushan car elle avait placé toute sa parenté à des postes clés du gouvernement.
Trois statuettes en terre cuite proviennent de la tombe du Général Mu Tai, mort en 729, qui était d’origine étrangère. Elles sont très colorées et figurent des personnages non-chinois avec une grande diversité de morphologies et de postures. En particulier, l’«homme noir» vêtu d’un pantalon en peau de panthère est saisi dans une attitude d’hercule de foire. Il s’agit probablement d’un homme originaire d’Asie du Sud-Est. Deux battants de porte en pierre sont gravés de deux danseurs étrangers (barbe, cheveux bouclés, nez proéminant) qui semblent tourbillonner sur eux-mêmes. Provenaient essentiellement de l’actuel Ouzbékistan qui étaient peuplé par des Sogdiens, ces danses dynamiques étaient particulièrement appréciées sous les Tang.
Un ornement de tête provenant du royaume Tubo (7ème-9ème s.), au Qinghai, représente un phénix aux ailes déployées sur un fond de motifs végétaux. Le bijou, en or, incrusté de turquoises, illustre le savoir-faire exceptionnel des orfèvres de la région.
Un ensemble de tissus en samit de soie, très en vogue à l’époque des Tang, évoquent les influences en provenance de la Perse sassanide avec des rondels perlés où s’affrontent oiseaux, béliers, etc. Apparu aux environs du 6èmes., le samit, est un tissu dont la trame est travaillée de telle façon qu’elle recouvre complètement la chaîne, donnant ainsi l’impression de constituer à la fois le décor et le fond.
À la fin de la dynastie des Tang, les grès des fours de Changgsha, connurent un engouement extraordinaire à l’exportation vers l’Asie du Sud-Est, comme en témoigne une jonque, retrouvée avec 56 000 pièces, preuve de l’importance du commerce maritime.
À la même époque, la production de céramique annonce la période suivante, celle des Song (1127-1279), avec des grès porcelaineux blanc et des céladons.
La Chine des Tang a assimilé un ensemble d’influences étrangères et a produit une culture matérielle très innovante, d’une extraordinaire richesse et d’un grand raffinement.